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Les aquariums sont-ils bons pour les animaux?
(une interview au média « ATLANTICO » – mai 2019)
Atlantico.fr : L’Aquarium Nausicaa est de nouveau dans la tourmente. Après la mort de son dernier requin marteau, des centaines de sardines ont péri après une fissure dans un aquarium, déclenchant ainsi l’ire des défenseurs des animaux. Concrètement, ces aquariums sont-ils légitimes ?
Julie Lasne : Malheureusement ce triste constat était prévisible suite au décès en 2011 de la totalité des 20 requins marteaux déjà importés à grands frais, dont il semblerait qu’aucun constat n’ait été tiré avant de recommencer cette mortelle expérience. Les requins Marteau seraient connus pour ne pas bien supporter bien la captivité. Les problèmes étaient donc connus depuis des années (2011). C’est là l’écueil inévitable de la captivité pour des mammifères terrestres comme marins comme pour les poissons (requins, raies Manta…) qui restent des animaux sauvages même en captivité avec leurs besoins physiologiques, biologiques et comportementaux propres à leur espèce. On a déjà observé des comportements problématiques d’agression ou d’auto-mutilation allant jusqu’au suicide, entre autres troubles du comportement que ce soit envers leurs congénères ou dirigés vers d’autres mammifères marins: cétacés se laissant dépérir, tentant de se « fracasser la tête » contre les bassins, leurs petits tués ou blessés pris au milieu de conflits entre différents membres du groupe, auxquels ils ne peuvent se soustraire pour se protéger comme dans le monde sauvage, ou des infanticides consécutifs au stress et aux conditions de la captivité.
Si la température de l’eau, les conditions légales d’hébergement ou la parasitologie sont généralement prises en compte, en revanche la question du bien-être comme du respect des besoins biologiques, physiologiques et comportementaux, imposé par la loi (article 22 de l’arrêté du 18 mars 2011), de ces animaux-là se pose bel et bien, et sa prise en compte reste très relative. On se rappelle de la polémique l’année dernière sur Marineland et l’ours polaire qui n’avait pas de coin d’ombre et dont les portes lui permettant d’accéder à ses grottes de glaces étaient toutes fermées par près de 40°C comme en attestent des photos que j’avais prises ou celles de nombreuses associations de protection animale. Ou encore des interactions possibles avec les dauphins dont la peau sur le ventre au lieu d’être blanche était rosée à force de les faire se retourner sur le dos dans à peine un mètre d’eau en plein soleil, afin que les visiteurs puissent régulièrement leur caresser le ventre. Leur peau étant très sensible sur le ventre, la profondeur de l’eau faible et la réverbération importante, cela leur occasionnait donc des dommages de la peau. Les enceintes beuglant des sons, musiques et autres animations à longueur de journées, tout cela engendre du stress et des troubles à ces animaux, compte tenu de leur mode de communication sur différentes longueurs d’onde et engendre du stress et des troubles à ces animaux. L’ensemble de nombre de ces éléments, comme cela a été mis en avant par de grands spécialistes des cétacés et des poissons, peut donc être considéré comme de la maltraitance animale d’un point de vue scientifique.
Pour tout animal sauvage côtoyer des humains est stressant, c’est ce qui entraine -entre autres problèmes- attaques sur les dresseurs comme l’on démontré les attaques fatales d’orques de Seaworld, comme celles de lions avec leurs dresseurs (Buffalo circus France 2017).
Pour la plupart des espèces, la véritable réintroduction n’est possible que si l’animal a connu son milieu naturel avant cela où il a pu avoir suffisamment d’exemples de ses pairs qui lui permettent de survivre en terme de comportements comme de connaissance du milieu sauvage. Quand un animal marin a atteint -au moins- le stade juvénile avant sa capture et du moment qu’il a conservé la peur de l’humain et que l’homme a évité toute interaction pour préserver ce caractère indispensable à sa survie, on peut espérer le réintroduire avec une espérance de vie et de réadaptation réelle, sinon c’est la mort assurée dans les mois suivants la libération en général.
Le grand mensonge marketing, aussi bien des zoos que des aquariums, consiste à faire croire que l’on fait naître des animaux en captivité qui vont pouvoir être réintroduits dans le milieu sauvage. La captivité, au bout de très peu d’années induit des changements génétiques. Vous n’avez donc plus l’espèce sauvage mais une sous-espèce. Elle est différente et en plus souvent porteuse de pathogènes qui pourraient porter préjudice aux espèces sauvages, et inversement, ces sous-espèces étant moins résistantes et non habituées aux maladies et parasites du milieu sauvage, elles y succombent souvent ainsi qu’aux autres dangers dont elles ignorent tout . Dernière chose, ils ne connaissent pas le comportement de leurs congénères. Quand on va vanter les politiques de réintroduction il faut poser deux questions. La première : « Combien ont survécu au bout d’un an ? » et la deuxième « Combien ont survécu au bout de trois ans ? « . C’est comme cela qu’on évalue un programme de réintroduction. Un an permet de voir si l’animal a su se débrouiller pour chasser comme pour adapter ses comportements à ceux de ses congénères sauvages, de ses proies comme de ses ennemis, et trois ans montre son aptitude à se reproduire et donc à s’intégrer parmi son espèce et dans le milieu sauvage.
Les études montrent, pour les grands carnivores entre autres et espèces emblématiques des zoos (dont les fameux pandas), que généralement les animaux réintroduits dans le milieu sauvage n’ayant connu que la captivité, dépassent rarement les 18 mois de survie. De même dans l’autre sens, les animaux prélevés dans le milieu sauvage, même petits, survivent rarement au-delà d’un an à la captivité et leur durée de vie en est particulièrement réduite, surtout pour certaines espèces en danger d’extinction comme les requins marteaux ou les cétacés. Par exemple, les dauphins vivraient 30 ans de moins en captivité et l’espérance de vie des marsouins serait divisée par deux (Baratay et Hardouin-Fugier, 273-124). Les chiffres parlent de 20 à 25% de pertes chaque année parmi les effectifs dans les zoos et aquariums!. Cela se vérifie avec Nausicaa.
Pire, selon ces mêmes observations, si l’on mettait un terme à l’approvisionnement des zoos/aquariums dans la nature (les prélèvements d’espèces), en 4 à 6 ans les zoos seraient vides!
La préservation des espèces et leur réintroduction ne serait que du marketing ?
Du moment qu’il y a des modifications génétiques induites par la captivité, vous ne pouvez pas prétendre réintroduire l’espèce en question. En plus, si les animaux réintroduits ne connaissent pas le comportement de leurs congénères, ont été élevés ou sont nés en captivité, ils n’ont pas appris les comportements sociaux de leurs congénères ou de leurs compétiteurs. Ils ne connaissent pas non plus leurs proies ni les dangers de leur environnement. En outre, s’ils sont habitués à l’homme et ne le craignent pas, ils deviennent alors des proies faciles pour le braconnage notamment et provoquent de nombreux conflits hommes-animaux en se rapprochant des habitations. Beaucoup de guépards réintroduits se sont attaqués à des animaux trop gros pour eux comme des zèbres et se sont fait tuer. De même manière, quand ils croisaient d’autres félins, ils se faisaient également tuer car ils n’ont pas eu l’éducation nécessaire aux comportements à adopter envers les différentes autres espèces présentes dans leur milieu. Pour terminer, d’autres ne reconnaissaient pas des guépards femelles comme leur congénère et ont pu tuer des femelles en chaleur car ils ne comprenaient pas ce qu’elles voulaient. Voilà ce qu’il se passe dans la majeure partie des réintroductions de carnivores ou d’espèces emblématiques présentées par les zoos, n’ayant connus que la captivité. Et c’est valable pour les mammifères marins et poissons. Beaucoup de ces derniers n’ayant pas peur de l’Homme, habitués à être nourris par l’homme, ils hésiteraient encore moins que leurs congénères sauvages, à s’aventurer près des bateaux de pêcheurs et à attaquer les filets.
Bref, faire croire à la réintroduction des animaux sauvages qui sont élevés et reproduits au sein des zoos et des aquariums pour en justifier la détention et la capture, cela tient plus d’un plan de communication que de conservation et de « greenwashing » présenté tel quel. Cela a la couleur de la réintroduction mais les animaux sont en fait un beau prétexte pour se vendre et promouvoir des intérêts commerciaux de ce qui sont aujourd’hui plus des « parcs d’attraction » que zoologiques, avec donc des impératifs de rentabilité. L’animal n’y est qu’un élément similaire à un timbre-poste dans ce qu’ils appellent la gestion de leur « plan de collection ». Ce n’est pas parce que l’on relâche un animal que l’on fait de la réintroduction. Il faut voir si l’animal survit. Tous les papiers scientifiques ou les études d’acteurs reconnus sur ce sujet évaluent la réintroduction sur une période de trois ans et les animaux en moyenne dépassent rarement la première année.
Sur la conservation, tous les zoos et aquariums ont des obligations légales d’éducation, d’information pédagogique et une obligation de financer des programmes de conservation in situ (dans le milieu naturel). Quand ils se prévalent de faire de la conservation, il faut avoir en tête que c’est d’abord une obligation légale. Et quand ils avancent l’argument que les animaux vivent plus longtemps en captivité, il faut noter que la longévité des marsouins est divisée par 2 en captivité et celle des dauphins réduite de 30 ans et voir dans quelles conditions survivent les autres pensionnaires en terme de bien-être animal.
Si l’on vous dit « on reproduit les animaux sauvages dans les zoos afin de les réintroduire », je vous défie de trouver un seul carnivore ou parmi les espèces emblématiques mises en avant par les zoos, qui vienne d’un zoo, (hormis quelques ongulés et oiseaux de la faune locale souvent) qui a été réellement réintroduit dans le vrai monde sauvage (et non sur une île ou dans un enclos « naturel » préservé du monde sauvage, où il y a une gestion voir souvent du nourrissage), et vraiment parmi ses congénères et compétiteurs sauvages. Je parle bien d’un zoo et pas d’un programme scientifique in situ. Prenez les pandas pour élargir, il n’y en a pas 23% reproduits par insémination qui aient dépassé l’âge de 3 ans. Le seul panda qui a été réintroduit est décédé.
La seule justification éthique, scientifique, éducative, pédagogique que l’on pourrait trouver à un aquarium ou un zoo, selon un avis que je partage, serait que des animaux sauvages blessés y soient soignés avant d’être réintroduits une fois guéris ou que seuls ceux sans espoir de réintroduction (estropiés, malades, etc) y soient maintenus dans des conditions de détention répondant à leurs besoins physiologiques, biologiques et comportementaux. Et là l’information et la pédagogie prendraient tout leur sens. C’est un peu, en France, ce que fait le zoo de St Martin la Plaine avec Tonga.
Du coup que faire dans une optique de réintroduction ?
Les delphinariums, tout comme les aquariums ne sont pas capables de répondre aux besoins physiologiques, biologiques et mentaux de ces animaux. Cela ne peut passer que par des sanctuaires marins. Mais c’est extrêmement compliqué car, ne serait-ce qu’entre les dauphins et les orques, ce n’est pas le même type de conditions de température ou marines qui sont adaptées dans le cadre d’une phase de réintroduction. Pour les orques, l’océan des eaux bretonnes conviendrait mieux selon les spécialistes de ces espèces et pour les dauphins une autre structure plus en Méditerrannée comme un projet en gestation le laisserait à penser. Le principe d’un sanctuaire est que le passage de l’animal y est momentané, la reproduction, la cession, la vente comme l’exploitation à des fins de spectacle y sont interdites. Ils sont là pour accueillir les animaux de manière momentanée, le temps de leur convalescence ou de la réintroduction douce et doivent être réintroduis dans leur milieu naturel s’ils peuvent l’être.
Jusqu’à présent, tout comme le Dr Naomi Rose, référence concernant ces animaux marins, je n’ai pas vu jusque-là, en tout cas pour les grands mammifères marins ou les poissons mentionnés ici de justification scientifique probante, tant à leur détention, leur capture ou leur exploitation en aquarium ou delphinarium, qui relèverait d’un intérêt démontré pour la conservation de leur espèce ou leur réintroduction.
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